Conte de Noël

 

Il y a maintenant trois ans, c’est-à-dire à l’époque de Noël, je me trouvais détenu dans une petite prison du Yorkshire, en prévention de vol, escroquerie, chantage, le tout doublé d’une assez vilaine his­toire de mœurs sur laquelle il me serait pénible d’insister ici.

Ce qui me vexait le plus en cette occurrence, c’était moins la déten­tion elle-même que l’époque à laquelle elle se produisait.

J’ai toujours adoré Christmas, cette fête des babies et du foyer, Christmas, le bon Christmas.

Du gui, du gui, encore du gui !

En Angleterre plus que partout, et particulièrement dans le York­shire, la fête de Noël a un caractère d’intimité dont le boudin pari­sien ne donne qu’une lointaine idée... si lointaine.

Pour l’intimité, je n’avais rien à dire. Ma cellule était intime, un peu trop peut-être.

Mon geôlier m’avait... Oh ! l’étrange geôlier ! C’était un ancien horse-guard qui avait perdu une jambe dans la guerre contre les Ashantees.

Comme il s’était engagé jadis aux horse-guards pour l’uniforme, il avait tenu, malgré son amputation et sa nouvelle fonction, à conser­ver son ancien costume.

Et c’est vraiment une très comique chose, de voir d’un côté une jambe de bois et de l’autre une culotte de peau, une botte et un éperon.

Très comique et très touchante chose !

Cependant, malgré tous ces détails, la nuit de Noël arrivait.

Et moi qui étais invité à un réveillon aux îles Féroé, dans la sainte famille d’un pasteur évangéliste !

Vous tous qui me lisez, ou presque tous, vous avez été en prison ; mais, étant en prison, avez-vous vu tomber la neige ?

Ah ! quelle horreur, la neige qui tombe quand on est en prison !

La seule sensation qui vous rattache au monde extérieur, le bruit, le délicieux bruit (sweet noise) disparaît.

On ne voit plus rien, on n’entend plus rien !

Et elle tombait sans relâche, oblique, drue, serrée, si bien que ma pauvre petite cellule en était obscurcie et comme étouffée.

Un bruit surtout me manquait, parmi ceux que j’avais remarqués et que j’aimais depuis ma captivité : c’était celui de la promenade de mon geôlier dans la grande cour de la prison.

D’abord, pan !... le coup mat de la jambe de bois sur le pavé, et puis le toc !... triomphant et vainqueur du talon de la botte, métal­lisé par la vibration de l’éperon, et puis ainsi de suite.

Mon vieux horse-guard ne se promenait-il plus, ou bien le bruit de sa marche était-il étouffé par la neige ?

Je me posais ces questions avec l’inquiétude vaine que crée l’oisi­veté de la vie cellulaire.

La nuit de Noël était venue, et je n’avais pas pu me décider à me coucher.

Les cloches sonnèrent dans la ville d’abord, et dans les petites paroisses voisines.

Ces dernières, étouffées par la neige, voilées par le lointain et si attendrissantes que je sentis se mouiller mes yeux.

J’ai toujours pleuré en écoutant, dans le loin, les cloches de campagne.

– Go in ! fis-je en m’éveillant de mon rêve bleu.

On venait de frapper à la porte de ma cellule.

C’était une toute blanche et rose fillette d’une quinzaine d’années, portant à son bras gauche un petit panier et tenant à la main droite une grosse touffe de gui.

– Good night, sir, dit-elle.

– Good night, miss, répondis-je.

Et elle continua, toujours en anglais :

– Vous ne me reconnaissez pas ?

– Mais si, répondis-je dans la même langue, je crois vous avoir déjà rencontrée dans un album de Kate Greenaway.

– Non, pas là.

– Alors, dans ma belle image de Robert Caldecott.

– Non plus.

Un silence.

– Comment ! dit-elle d’un air mutin, vous ne vous rappelez pas ? L’année dernière, vous m’avez sauvée d’une mort certaine. Je traver­sais Trafalgar Square, lorsque soudain et en proie à une rage subite, l’un des lions en bronze de cette place se précipita sur moi. Je n’eus que le temps de fuir. Un omnibus passait, vous ayant sur l’impériale. Vous vous penchâtes, et d’un bras vigoureux m’enlevâtes à la vora­cité du fauve. Toute penaude, cette bête reprit sa place immuable et le rôle décoratif que lui avait assigné l’artiste.

J’avais beau rassembler mes souvenirs, je ne me rappelais rien d’analogue. Mais elle insista tellement :

– Même que c’était l’omnibus de Bull and Gate. Vous alliez à la villa Chiavenna, chez votre ami Lombardi.

Devant un fait aussi précis, je m’inclinai.

Elle sortit de son panier le plum-pudding de la reconnaissance, quel­ques bouteilles d’ale, et nous soupâmes joyeusement.

À l’aube, elle s’enfuit emportant mon cœur et les bouteilles vides.

Depuis, j’ai cherché à me rappeler ce curieux incident de Trafalgar Square.

Je n’ai jamais pu.

Il est vrai que je ne me rappelle pas davantage la prison du York­shire, le geôlier à jambe de bois, sa fille blanche et rose, le plum-pudding et les bouteilles d’ale.

C’est drôle, dans l’existence, comme on oublie tout.

Faits divers
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